ARCHIVES DE LA MUSIQUE ARABE

Les cafés chantants du Caire, vol 1


Jusqu'aux dernières années du XIXE siècle, l'espace musical égyptien se
divisait entre une musique de cour raffinée réservée à une élite,
interprétée par des musiciens prestigieux, et la musique folklorique,
rurale ou citadine, destinée à un large public et produite par des
professionnels souvent anonymes. Si le discours musical des artistes
populaires était clairement plus pauvre que les chef-d'oeuvres produits
par l'école khédiviale, la thématique vivante des chants était la seule
expression artistique des soucis quotidiens d'une population confrontée
à la modernité européenne et à la colonisation. Deux événements
devaient venir transformer cet univers musical : l'apparition de la
scène dans les dernières années du siècle, et la rapide pénétration de
l'industrie du disque à partir de 1903.

Les cafés chantants étaient un phénomène typique du Caire dès la
première partie du XIXE siècle. Autour des jardins à l'anglaise de
l'Azbakiyya (commandés par le Khédive Ismâ'îl), les cafetiers
s'attachaient le service d'un chanteur renommé qui attirait les clients
avec son répertoire de musique savante. Sous l'influence des
cafés-concerts à l'européenne, importés par les communautés étrangères,
et suite à l'ouverture de nombreuses salles de théâtre au Caire à partir
des années 1880, le café chantant ouvert sur l'extérieur se transforma
au tournant du XXe siècle en établissement fermé et payant, dans lequel
un spectacle sur scène, incluant chanteurs, danseuses et divers numéros,
était offert à un public essentiellement masculin. Parfois, une aile
séparée par un voile pudique permettait aux épouses d'hommes aux idées
libérales d'assister incognito au concert d'un grand chanteur.
Naturellement, le répertoire savant était réservé aux établissement
réputés, tandis que des almées de moeurs discutables se produisaient
dans des cabarets malfamés de la rue 'Imad al-Din et du quartier de Rôd
al-Farag.

Le succès des femmes sur la scène et la Popularité de leurs
ritournelles, les "taqâtîq" (singulier taqtûqa), incitèrent les
chanteurs à adopter progressivement ces anciens chants de mariage dont
la verdeur du propos surprenait et tranchait avec les éternelles amours
déçues du répertoire noble. Jouées par des ensembles-takht de qualité,
interprétées par des chanteurs capables d'improvisation, ces pièces
légères finirent par menacer l'édifice pourtant neuf de la musique de
cour. L'industrie du 78 tours, qui avait jusqu'à la première guerre
mondiale enregistré l'ensemble du répertoire savant, poussa les auteurs,
les compositeurs et les chanteurs qu'elle liait par contrat à s'engager
dans la chanson légère. En contrepartie, le niveau musical de la
taqtûqa progressa notablement, et les techniques de chant héritées de
l'école de Hâmûlî furent mises à profit dans cet art naissant de la
"variété" : une musique accessible au plus grand nombre, simple dans son
parcours mélodique comme dans ses textes, mais exécutée par des
professionnels reconnus. Du lendemain de la Grande-Guerre au milieu des
années 30, la taqtûqa régna sans partage sur la scène musicale
égyptienne. Coquine, parfois aux franges (orientales) de la
grivoiserie, la chanson légère provoquait le désespoir des tartufes
bien-pensants et plus légitimement celui des amateurs de chant savant
qui voyaient avec inquiétude se perdre l'art de l'improvisation modale
dans des compositions calibrées pour les six minutes du 78 tours.

La taqtuqa ancienne (celle des almées et des mariages) est souvent
composée d'un refrain et d'une multitude de couplets en langue
dialectale archaïque, formés d'un ou deux vers sur une mélodie simpliste
et de faible amplitude. Le 78 tours mena à un produit standardisé loin
du modèle initial : la pièce s'ouvre par un refrain placé sur une longue
phrase mélodique, chanté par un mutrib éventuellement accompagné du
choeur des madhhabgeyya. Suivent quatre ou cinq couplets en dialecte
cairote moderne, chantés en solo. Chaque couplet se déroule sur une
même mélodie, distincte de celle du refrain. Usuellement sur le rythme
wahda (4/4), la pièce est parfois traversée de sections syncopées en
maqsûm.

Si les pièces des années 20 ne réclament pas, dans leur exécution une
créativité interprétative, notons qu'elles exigent une tessiture et une
justesse sans rapport avec les naïves ritournelles d‚antan. Les
variations mélodiques de la musique savante sont remplacées par des
pirouettes ornementales. seul espace de virtuosité laissé au chanteur.
L'introduction de mélodies différentes dans chaque couplet n'apparut que
dans les années 30 et devait marquer le passage de l'ère de la taqtûqa à
celle de la chanson de variété moderne.
Au delà de mélodies simples mais touchantes, de voix parfois sublimes,
ce sont surtout les textes qui font de la taqtûqa d'après-guerre un
phénomène unique dans l'histoire de la musique égyptienne. Trop souvent
décriés pour leur bancalité ou leur inconvenance, ce sont des
témoignages irremplaçables sur les interrogations d'une société en
pleine évolution et qui exprime son désir, sa sexualité, ses débats sur
le rôle de la femme. Le triomphe de la variété sentimentale dans les
années 30 signifia la fin de cette irruption du social dans la chanson.


ABD AL-LATIF AL-BANNA (1884-1969)

Bulbul Misr (le Rossignol de l'Egypte)

Amir al-mughanniyin (Prince des Chanteurs).Abd el Latif al-Bannâ fut
durant les année 20 la coqueluche du Caire. Paysan. né dans la région de
Shabrâkhît, il commença une classique carrière de munshid (hymnode) et
de lecteur du Coran en tentant sa chance dans la capitale en 1908. A la
veille de la guerre, il abandonna caftan et turban pour s'installer
comme chanteur, accompagné d'un takht, exploitant dans le domaine
profane le succès que lui avait valu sa voix aiguë aux intonations
féminines. Formé à l'école savante, il devint le fleuron de la
compagnie Baidaphon dans les années 20. Voyant le profit qu'elle
pouvait tirer de sa voix, la firme l'orienta vers le répertoire léger.
Seul chanteur n'arborant pas les réglementaires moustaches, il
interprétait des textes composés au féminin dans lesquels il se
présentait comme une coquette séduisant les hommes sans vergogne. Ses
contemporains se souviennent des mimiques équivoques qui accompagnaient
ces polissonneries, qui le placent à mi-chemin entre Mayol et le
souvenir des chanteurs mukhannathîn (efféminés) de l'ère abbasside.
Quittant le premier rang des célébrités médiatiques dans les années 30,
il continua une carrière de chanteur pour mariages avant de rentrer dans
son village en 1939 et de se marier, à la surprise générale. Il ne
devait revenir au Caire qu'épisodiquement, au début des années 60, de
nouveau vêtu du caftan et du turban, prêtant sa voix à des ensembles
religieux. Il mourut oublié dans son village, en 1969.

1/ Eh ra'yak fe khafaftî (Tu ne me trouves pas mignonne?).
Taqtûqa en modes gahârkâh et sabâ. Auteur et compositeur inconnus
(Muhammad al-Qasabgî?). Enregistrement vers 1930.
Une jeune aguicheuse, dont la légèreté est "douce comme du sirop" et
dont les charmes sont "dilikât" assure être une hourie échappée du
Paradis. "Mes amants sont prêts à s'humilier, mais je ne cesse de les
narguer" assure 'Abd al-Latîf al-Bannâ, qui, au sommet de son art, use
de procédés d'ornementation typiquement féminins, comme ces contractions
de la glotte suivies d'un soupir sensuel.

2/ Ma tkhafsh-e 'alayya (T'en fais pas pour moi).
Taqtûqa en mode higâzkâr. Texte du Shaykh Yûnus al-Qâdî, composition de
Zakariyyâ Ahmad (1896-1961). Enregistrement vers 1925.

Egalement interprété par la "Sultane du Chant" Munira al-Mahdiyya, cet
hymne de grande coquette provoqua dans la presse des articles fulminants
chez les bien-pensants. Popularisant pour un public masculin un
fantasme de femme libre aux franges de la prostitution, c'est le
monologue d'une almée enflammée qui avoue s'enfermer sous la
moustiquaire et se jeter sur la photo de son bien-aimé. Elle l'assure
que sa maison flottante sur le Nil n'a pas de gardien et que personne ne
l'attrapera, puis affirme bien haut que "Quand j'aime, je me fiche bien
de Papa ". Promettant une nuit agitée dans une felouque, elle précise
qu'en amour elle a le "baccalauréat". L'emploi de termes précieux
empruntés au français est un ressort comique fréquent dans la taqtûqa.

3/ Erkhi s-setâra (Tire le rideau).
Taqtûqa en mode sabâ. Texte du Shaykh Yûnus al-Qâdî, composition de
Zakariyyâ Ahmad. Enregistrement vers 1925.
Comme la pièce précédente, ce texte fut écrit par un lettré azharite
débauché par l'industrie du disque, auteur de la plupart des textes
libertins. AI-Bannâ se change en dévergondée demandant à son amant de
tirer les rideaux, afin que les voisin,, ne remarquent rien. La mention
des soirées arrosées et les sous-entendus sexuels implicites confèrent à
cette chanson une odeur de soufre dans le Caire pudique des années 20 :
les chants de femmes étaient parfois plus lestes. mais ne bénéficiaient
pas de la publicité et de la diffusion du 78 tours. Notons dans le
refrain un jeu de mot politique de Bannâ qui, en lançant un "Qu‚est-ce
qu'on se marre, qu‚est-ce qu'on s'amuse", introduit le terme "sa'diyyin"
qui peut ce comprendre comme "bonvivants" ou partisans de Sa'd Zaghlul,
le leader nationaliste de la révolution de 1919 exilé par les Anglais.
Couverture patriotique pour texte polisson?

4/ ya ma nshûf hagât tegannen (On voit des choses qui rendent dingue).
Taqtûqa en mode gahârkdh. Auteur et compositeurs inconnus.
Enregistrement vers 1927.

Ce texte savoureux reflète le choc provoqué par la coupe de cheveux "à
la garçonne" que les bourgeoises du Caire adoptèrent, à la suite des
dernières modes de Paris et des vedettes du cinéma muet qui faisaient la
une des premières revues féminines comme Rose al-Yûsuf. Se plaçant
(pour une fois) du point de vue masculin, le chanteur s'étonne de
trouver "Le Bey et madame" se rendant de concert chez le barbier, chez
qui ils sont "abonnés". La mode arabe exigeant de longs cheveux nattés,
il se désole de ces chevelures coupées pour une mode importée, sur le
mode classique du "quelle époque".

SALIH ABD AL-HAYY (1896-1962)

Né dans le quartier populaire de la citadelle du Caire, il fut élevé par
son oncle maternel le chanteur 'Abd al-Hayy Hilmi jusqu'à l'âge de 16
ans et compléta sa formation auprès du qânûniste Muhammad 'Umar.
Devenant naturellement mutrib à son tour, il connut le succès au
lendemain de la guerre, reprenant les interprétations de son oncle et
chantant le répertoire classique comme les taqatiq les plus
dévergondées, en fonction du public. Il tenta même sa chance sur scène
en fondant une troupe théâtrale à la fin des années 20. Propriétaire du
plus bel attelage du Caire, il aimait à parader dans sa riche voiture :
Muhammad 'Abd al-Wahhâb se souvient d'avoir été fouetté par le cocher de
Sâlih alors qu'il rêvait de toucher son idole... Ses capacités vocales
furent sans doute l'une des raisons des progrès techniques de la
taqtûqa, incitant les compositeurs à présenter des mélodies soignées. Sa
longue collaboration avec le compositeur Zakariyyâ Ahmad représente
l'âge d'or de la taqtûqa, souvent orientée chez lui vers les sujets
sociaux. Voix ample, souple et facilement tragique, il porta sur ses
épaules le destin de la musique de takht jusqu'à la fin de sa vie,
unique défenseur d'une tradition perdue. Employé à la radio nationale
dès son inauguration en 1934, il donnait chaque semaine un concert où
les pièces du répertoire savant était mêlés à des compositions modernes
dans le style traditionnel. Hélas, peu instruit, bon-vivant et
colérique, il ne fut pas à même de théoriser sa démarche qui passa vite
pour du conservatisme archaïsant face au modernisme triomphant de 'Abd
alWahhâb et d'Umm Kulthum.


5/ Abûha râdi (Son père est d'accord).
Taqtûqa en mode bâyyatî. Texte de Yahya Muhammad, composition de
Zakariyyâ Ahmad. Enregistrement vers 1927.

Sous la pression de la pionnière du féminisme égyptien, Huda Sha'râwî
(1879-1947), le gouvernement égyptien fixa en 1924 un âge minimal pour
le mariage des filles. Très contestée par les milieux conservateurs, la
loi fut rapidement vidée de sa substance puisque le tuteur n'avait pas à
faire la preuve de l'âge de l'enfant. Cette chanson exprime la révolte
des mâles : "Son père est d'accord et je suis d'accord, alors qu'est-ce
que ça peut vous faire, Monsieur le juge?" demande Sâlih en vantant les
charmes d'une "fille de treize ans, qui a un visage beau comme une lune
de quatorze jours". La taqtûqa, destinée à un public masculin, est
parfois l'expression d'une résistance rétrograde aux évolutions
libérales de la société. Court et beau taqsîm final de Shawwâ sur le
cycle bamb.

6/ Yekûn fe 'elmek (Mets-toi ça dans le crâne).

Taqtûqa en mode huzâm. Composition de Muhammad Hilmi. Enregistrement
vers 1927.
Echo populaire aux débats qui agitaient la presse cairote des années 20
au sujet de la polygamie, la taqtûqa fut une expression plaisante du
débat conjugal. Les mêmes auteurs écrivaient pour les chanteuses des
pièces dépeignant la vie des co-épouses comme une injustice immorale,
tandis que les chanteurs défendaient les privilèges masculins. Bigame,
Sâlih 'Abd al-Hayy est confronté aux récriminations de sa première
épouse : "J'ai pris une seconde épouse : si ça t'plait pas, t'es libre.
Rentre chez tes parents, mais fais pas d'histoires, j'ai pas l'temps de
faire le juge". En décrivant la polygamie comme source de problèmes,
les chansons contribuèrent à rendre le phénomène marginal en milieu
citadin.

7/ Khafîf khafîf (Mignon mignon).
Taqtûqa en mode bâyyâtî nawa. Texte de Badî' Khayrî, composition de
Zakariyyâ Ahmad. Enregistrement vers 1927.
Traditionnelle plainte d'amoureux déçu, ce texte tente de traduire les
clichés de la poésie courtoise en langage populaire quasi-argotique
"Mignon mignon, ce lascar m'en a fait voir des vertes et des pas mûres"
(littéralement des nuits couleur de cosses de caroube ... ).

ZAKI MURAD (mort en 1946)

Né vers 1880 et issu d'une famille de commerçants juifs d'Alexandrie,
Zakî Murâd voulut tenter sa chance dans le chant savant dans les
premières années du XXe siècle. Il se forma auprès du violoniste Sâmi
al-Shawwâ (1889-1965) et du chanteur 'Abd al-Hayy Hilmî (1857-1912),
mais c'est sans doute au compositeur Dawûd Husni (1871-1937) que revient
le mérite d'avoir formé cet interprète à la voix puissante. Interprète
typique du début du siècle, il maîtrise un double répertoire savant,
fait d'adwâr et de poèmes classiques, mais aussi de chansonnettes
légères. Participant à l'aventure du théâtre, il remplaçait un Shaykh
Salâma Higâzi déclinant à la veille de la guerre et tint de grands rôles
dans les pièces de Sayyid Darwîsh. Dépensier et bohème, Zaki Murâd
quitta sa famille pour partir en tournée en Syrie, en Europe et en
Amérique au cours des années 20. Il rentra ruiné à la fin de la
décennie pour découvrir que le chant savant était passé de mode et que
Muhammad 'Abd al-Wahhâb occupait tout l'espace de la variété de
qualité. Il préféra se retirer de la scène et se consacrer à la
formation de ses enfants, le prolifique compositeur Munîr Murâd et
surtout la future vedette du cinéma chantant Laylâ Murâd, qui débuta sa
carrière en 1935.

8/ Hâtî-li yamma 'asfûrî (Maman, apporte moi mon oiseau).
Taqtûqa en mode bayyâtî husaynî. Auteur inconnu, composition de Dawûd
Husnî (1871-1937). Enregistrement Janvier 1912.
Composition d'avant-guerre, cette taqtûqa représente l'enfance du genre
: un texte absurde comme une comptine (mon oiseau est beau et dégourdi,
il a la langue bien pendue) sur une mélodie simple et vivante, prenant
toute sa valeur par la voix de Zakî Murâd et les fantaisies brillantes
de Sâmi al-Shawwà, qui imite le gazouillis des oiseaux sur son violon en
conclusion de la pièce.

9/ Ya bent el-'amm (Ma cousine)
Taqtûqa en mode sabâ. Auteur et compositeur inconnus. Enregistrement
Mai 1910.
Chant interprété par les almées lors des mariages, cette pièce illustre
le traitement qu'un mutrib savant peut présenter d'une ritournelle
populaire. La taqtûqa est précédée de layâlî, improvisation sur les
mots "ô nuit, O oeil", soutenue par le violon de Shawwâ. Zaki Murâd se
sert de l'argument mélodique comme prétexte à mélismes dans le cadre
limité du mode sabâ, dont il refuse de sortir.

10/ We gannenteni ya bent-e ya bêda (Tu es si blanche, tu me rends fou).
Taqtûqa en mode higâzkâr. Auteur et compositeur inconnus.
Enregistrement Mai 1910.
Chant traditionnel des mariages, cette pièce exalte la beauté de la
fille à la peau blanche, qui sort du bain semblable à une pêche, dans
une multitude de strophes approximatives et sans doute improvisées par
le chanteur lui même. Enigmatique vers où le chanteur assure "Si
j'avais de l'argent, j'habiterais à Tunis" ... On remarque dans le
second tétracorde une permanente ambiguïté entre les genres Enigmatique
et bayyâtî, typique du higâzkâr d'avant-guerre. Amples layâli à la fin
de la pièce, accompagnement Shawwâ et 'Aqqâd au qânûn.


SHAYKH AMIN HASANAYN SALIM (1889-1968)

Né au Caire, le Shaykh Amîn Hasanayn entama une carrière de munshid
(hymnode) aux lendemains de la Grande Guerre, avant de suivre au cours
des années 20 le parcours bien connu du shaykh défroqué. Sur les
planches des théâtres ou des cafés-concerts, il interprétait des taqâtîq
coquines dont le souvenir est resté vivace. Notons toutefois qu'il
enregistra de nombreuses pièces religieuses et qu'il ne dédaignait pas
le répertoire noble. Il grava sur des compositions de Zakariyyâ Ahmad
des qasîda-s précises dans lesquelles le métier et la rigueur remplacent
l'esprit improvisatif. Amin Ha-sanayn est, dans son interprétation, le
chaînon manquant entre un Abu al-'Ilâ Muhammad et Muhammad 'Abd
al-Wahbâb. Alcoolique notoire, il ne se séparait pas de sa fiasque de
Cognac lors de ses concerts et fut en outre arrêté à Tunis pour trafic
de haschisch lors d'une tournée. C'est pourtant en Tunisie qu'il
s'installa à partir de 1937 et jusqu'à sa mort, y trouvant la
reconnaissance que les changements esthétiques lui interdisaient en
Egypte.

11/ Ew'a tkallemeni bâba gayy warâya (Ne me parle pas, Papa vient
derrière moi).

Taqtûqa en mode rôst. Texte de 'Abd al-Hamîd Kâmil, composition de
Zakariyyâ Ahmad. Enregistrement vers 1927.
Ce chant, originellement tiré d'une pièce de théâtre, fonctionne sur un
comique d'inversion des rôles. C'est la jeune fille qui prend les
devants, met en garde le garçon contre un père "cruel", qui "s'il me
voyait ameuterait toute la rue". Elle conseille au galant d'envoyer sa
mère pour "bluffer" la sienne (le terme avait pénétré l'arabe dialectal
par l'entremise du poker), et se propose même de vendre ses bijoux pour
lui fournir sa propre dot...





Frédéric LAGRANGE, Mai 1994


Adapted from the CD-liner notes of :
L'Archives de la Musique Arabe - Cafés chantants du Caire - Vol. 1 - Artistes Arabes Associès AAA 115

Edited and published to these webpages with the autours permission
by Lars Fredriksson <mrfung@nada.kth.se>

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